Pendant des semaines, les classes de 209, 210 et les 79 hellénistes et latinistes ont préparé cette rencontre avec la Médée de Sénèque. Un texte d’une grande complexité et nécessitant une maîtrise totale de l’histoire des Argonautes. La culture s’acquiert au fil du temps!

Ils ont ainsi découvert la dimension subversive du personnage…

  • une magicienne qui, maîtrisant les lois de la nature, est capable de modifier le cours des saisons.
  • une étrangère, une barbare venue de Colchide que le pouvoir établi rejette loin de ses frontières.
  • une femme répudiée, qui refuse de se soumettre à son époux.
  • une mère virile qui s’arroge le droit de vie et de mort sur ses enfants, transgressant le rôle social et l’image de donneuse de vie et de porteuse de paix que les hommes ont attribuée à la femme.
  • une infanticide qui prive son époux de ses fils,  garants de la survie de la cité dans une société patriarcale.

La Médée de Sénèque émaillée d’extraits de Sandre de Solenn Denis

Une femme se raconte : jeune fille amoureuse, épouse, mère. Une vie passée entre la cuisine, le ménage, les courses, le soin apporté aux deux enfants, le sempiternel repas dominical, le travail… toujours à devancer les désirs de son homme en abdiquant les siens. Elle dit l’amour, les promesses faites et trahies, le mari qui l’ignore, la trompe. Alors, cet enfant qu’elle porte dans son ventre, le troisième, elle n’en veut pas, elle le tuera.

Le défi artistique : faire en sorte que La Médée de Sénèque résonne au coeur du texte de Sandre. Le travail est du cousu main: selon une esthétique du collage, monologues et tirades de Médée s’entremêlent au monologue contemporain d’une femme qui perd pied et commet l’irréparable.

Médée du fond des mères

Pourquoi un tel titre pour parler de Médée? Parce que Médée, c’est la barbare venue de terres lointaines qui, franchissant les Symplégades, a suivi sur les mers Jason, le héros grec en quête de la Toison d’or. Sur la scène, le décor suggère un paysage maritime, algues suspendues et rochers recouverts de mousse et d’écume. La bande-son intègre des cris de baleineaux…

Note d’intention de mise en scène

Espace déchiqueté. Comme les lambeaux d’une embarcation. Médée se tient dans des fonds marins. […] Et c’est depuis ce trou, depuis ces fonds qu’elle jette au-dessus, par-delà les mers son cri, sa haine, sa douleur. Médée, son histoire, passe les mers, les années. 

Mayday! Mayday! Mayday!

L’homonymie mère/mer renvoie par ailleurs à des images nourricières : il s’agit à chaque fois d’une matrice travaillée par l’action vitale d’êtres microscopiques. Le flux et le reflux peuvent ainsi évoquer les pulsations du coeur… Le mythe de Médée interroge ce lien complexe qui peut être amené à se distendre au point de provoquer un engloutissement fatal.

Un médecin pour aborder la question de l’infanticide.

Il ne s’agit pas de juger, rappelle le médecin, mais de comprendre avec la patiente pourquoi elle en est arrivée à commettre un meurtre. Mettre en cause la lucidité de la criminelle c’est expliquer l’acte par l’irruption de la folie dans une conscience fragile. Trop simple! Un certain nombre d’infanticides ne relèvent pas d’une pathologie mentale grave : le comportement trouve une explication dans les problèmes liés à la personnalité des individus, sujets fragilisés par une enfance difficile jalonnée de carences affectives, souvent dans un contexte de précarité sociale importante. Les parents qui passent à l’acte sont incapables de se mettre à distance de leur propre histoire infantile traumatisante. Quand survient la grossesse, la mère peut être amenée à l’annuler psychiquement en se passant de suivi médical ; l’accouchement se fait à la maison, le passage à l’acte est immédiat et le corps jeté…

Le complexe de Médée

En pratique, ce complexe renvoie à une démarche structurée et impitoyable visant à entraver l’accès à l’enfant mais aussi à placer la victime dans une situation d’impuissance pour mieux sévir. Il s’agit en somme d’une forme organisée de maltraitance qui porte sur une dimension vitale de la vie affective :  la privation d’enfant à but de vengeance passionnelle.

 

Toutefois, le lecteur de la tragédie de Médée peut aisément constater que le parallèle entre la petite-fille d’Hélios et la mère infanticide montre certaines limites : d’un côté un acte politique, de l’autre un geste qui relève de la psychiatrie.

L’intervenante médecin a enfin rappelé qu’il existait des numéros verts pour alerter si des enfants sont en danger. Il s’agit d’un acte citoyen et non de délation.

 

La compagnie L’Embellie Turquoise